Cour d'Appel de Paris, pôle 5, 8 juin 2021, n° 19/02245
Par Janini Loyslene Talini dos Santos et Lara Fernanda Yokota
La méthode de l’arbitrage, en tant qu’instrument d’une « justice privée », suscite des questions importantes concernant le juste équilibre entre l’autonomie de la volonté et les dispositions impératives découlant de la notion du procès équitable. À ce propos, la décision de la cour d’appel de Paris du 8 juin 2021 donne des précisions pertinentes s’agissant des critères de caractérisation d’un litige comme international, en réaffirmant la notion jurisprudentielle d’une opération commerciale internationale. Par ailleurs, l’arrêt insiste sur la nécessité de l'indépendance et de l'impartialité de l’arbitre comme une garantie procédurale universelle, en retenant une approche objective des indices pour déterminer la légalité de la composition du tribunal arbitral.
Dans le cas d’espèce, un joueur de football de nationalité ivoirienne signe en 2015 un contrat d’agent sportif avec la société de droit suisse Sport Management International SA (SMI), dans lequel est insérée une clause compromissoire au bénéfice de la Chambre arbitrale du sport (CAS) avec référence au droit français. Un contrat de travail lie le joueur et le club français Paris Saint-Germain. Des difficultés entre les parties survenant en 2016 et 2017, le joueur décide de mettre fin au contrat signé avec la société SMI. En raison du non-paiement de la commission prévue au contrat d'agent sportif, la société SMI dépose en 2018 une demande d’arbitrage auprès de la CAS, mais est déboutée de toutes ses demandes.
La société SMI forme alors un recours en annulation contre la sentence arbitrale, contestant le caractère impartial et indépendant du tribunal arbitral. À son tour, le défendeur relève un moyen d’irrecevabilité du recours fondé sur les dispositions du code de procédure civile (CPC) relatives à l’arbitrage interne. Il soutient qu’en raison de sa nationalité ivoirienne, de son domicile en Angleterre, mais également du fait que la société demanderesse est de droit suisse et possède son compte bancaire en Suisse, le litige est international et les dispositions de l’arbitrage interne ne sont pas applicables.
La cour d’appel de Paris constate que la nationalité, la résidence ou même l’adresse du compte bancaire d’une des parties sont des éléments insuffisants pour la caractérisation d’un litige international. Ainsi, les pièces versées au débat ne permettent pas de conclure que le litige se dénoue économiquement dans un autre pays, cela en raison de l’absence d’un flux transfrontalier de personnes, de biens ou d’argent.
Sur ce point, il est important de préciser que l’article 1504 du CPC dispose qu’est international l'arbitrage qui met en cause des intérêts du commerce international. Par conséquent, la cour ne fait que suivre la position dominante de la jurisprudence, à l’exemple de l’arbitrage Tapie (Cass. civ. 1ère, 30 juin 2016, nº 15-13.755), en concluant que pour qu’une opération soit considérée comme internationale, il faut qu’elle « ne se dénoue pas économiquement dans un seul État ».
L'arrêt commenté n’apporte pas d’innovation concernant les moyens relatifs à composition du tribunal arbitral. Faisant référence à l’article 1466 du CPC, applicable à l’arbitrage international, la cour d’appel reconnaît la recevabilité du recours en annulation dans les hypothèses où la contestation de l’irrégularité n’a pas été soulevée en temps utile. Cependant, elle rejette l’argument opposé par le défendeur, parce que l’irrégularité était dûment évoquée devant le tribunal arbitral.
Dans ce même sens, la cour d’appel rejette à bon droit l’argument selon lequel le choix de l’arbitrage implique la renonciation nécessaire et non équivoque des droits prévus par l’article 6 §1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Selon la cour, même si la Convention n’est pas imposée directement aux arbitres, son respect est garanti dans le cadre du contrôle opéré par le juge de l’annulation. Il est important de souligner, en outre, que l’état actuel du droit de l’arbitrage reconnaît le respect aux principes tirés dudit article de la Convention lors de la composition du tribunal arbitral (Trib. gr. inst. Paris, réf., 30 mai 1986, République de Guinée, Rev. arb. 1988, p. 371).
La recevabilité de la demande de recours en annulation étant reconnue, il faut en analyser son fondement. La question centrale posée par l’arrêt était de savoir si le seul fait de l’inscription du conseil de l’une des parties dans la liste des arbitres de la chambre arbitrale constituait une circonstance de nature à créer un doute raisonnable dans l'esprit des parties quant à l'indépendance et l'impartialité du tribunal arbitral.
En adoptant la technique du standard (J. El Ahdab, D. Mainguy, Droit de l'arbitrage, LexisNexis, 2021, p. 478), la cour d’appel retient l’approche objective consistant à « caractériser les facteurs précis et vérifiables externes à l'arbitre susceptibles d'affecter sa liberté de jugement », tels que des liens personnels, professionnels et économiques. Ensuite, la cour semble aussi retenir l’approche subjective (Paris, 12 févr. 2009, n° 07/22164, SA J&P Avax c/ Sté Tecnimont, LPA 2009, n° 144, note M. Henry ; C. Seraglini, J. Ortscheidt, Droit de l'arbitrage interne et international, LGDJ, 2019, 2e éd., p. 728), d’une manière non explicite, dans la mesure où les circonstances identifiées étaient analysées à la lumière du cas particulier.
Selon l’arrêt, l’impartialité de l’arbitre suppose l’absence des facteurs susceptibles d’affecter son jugement, ce qui peut résulter d'éléments comme sa nationalité et son environnement social, culturel ou juridique. Dans le cas d’espèce, aucun élément ne permettait de conclure que l’inscription du conseil d’une des parties dans la liste des arbitres de la CAS avait emporté des préjugés ni affecté le jugement des arbitres. De cette manière, après avoir relevé l’absence de prévisions à ce sujet dans les règles de droit et le règlement d'arbitrage applicables, la cour d’appel conclut que cette seule circonstance n'est pas de nature à créer un « doute raisonnable ». Elle rejette en conséquence le recours en annulation.
La décision de la cour d’appel de Paris est louable, car elle correspond à l’état actuel du droit de l’arbitrage s’agissant des obligations d’indépendance et d'impartialité des arbitres, qu’il s’agisse d’arbitrage interne ou international.