Cour de cassation, Civ. 1ère, 3 mars 2021, n° 19-19.471
Par Ekaterina Shalei et Marat Abzalov
Les conditions de reconnaissance en France des jugements rendus à l’étranger sont énoncées dans l’arrêt Cornelissen, et sont au nombre de trois : la compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l'ordre public international de fond et de procédure, ainsi que l'absence de fraude. Pour s’assurer que la première condition est bien remplie, le juge de l’exequatur doit examiner la présence d’un lien caractérisé entre le litige et le for étranger au regard des règles du droit international privé français, et ne pas se borner à la seule constatation des conclusions du juge étranger au soutien de sa propre compétence.
C’est dans ce contexte que s’inscrit l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 3 mars 2021 publié au bulletin. En l'espèce, une société américaine a signé le 9 février 2004 avec M. V..., agissant pour le compte d'une société de droit belge à constituer (Falco Franchising), un contrat de franchise portant sur le territoire belge. Suite à certains différends, la société américaine a saisi le tribunal de district du comté de Dallas qui, par jugement en date du 25 octobre 2016, a condamné la société Falco et, solidairement, MM. V... et F... à payer à celle-ci diverses sommes. La société américaine a sollicité l’exequatur de ce jugement.
Dans un arrêt du 25 juin 2019, la Cour d’appel de Paris, après avoir vérifié les conditions de l’exequatur, a déclaré exécutoire en France le jugement du tribunal de district du comté de Dallas. S’agissant de la condition de la compétence indirecte, la Cour d’appel a relevé que le juge texan avait conclu à sa propre compétence après déduction que le concert frauduleux reproché à M. V... était localisé sur le territoire américain, motif que le juge français de l’exequatur n’est pas habilité à remettre en cause.
Devant la Cour de cassation, M. V... a protesté qu’en statuant ainsi sur la question de la compétence indirecte, la Cour d'appel a commis un excès de pouvoir négatif et violé l'article 509 du Code de procédure civile.
La question qui se posait alors aux juges de la Haute Cour était de savoir si la compétence indirecte du juge étranger devait être vérifiée par le juge français alors même que le point de la compétence avait déjà été examiné et résolu par le juge étranger, compte tenu du fait que le juge de l’exequatur ne pouvait pas procéder au réexamen au fond.
La Cour de cassation répond par la positive en cassant l’arrêt de la Cour d’appel de Paris. En effet, elle estime qu’il appartenait à la Cour d’appel de « contrôler la compétence indirecte du juge étranger en vérifiant si, au regard des règles du droit international privé français, le litige se rattachait de manière caractérisée au juge américain ».
Or, partant du principe correct que le juge de l’exequatur ne peut pas remettre en question la réalité des faits constatés par le juge étranger, la Cour d’appel en a déduit à tort qu’elle n’avait aucun pouvoir de contrôle de la compétence indirecte, étant liée par les conclusions du juge étranger. En réalité, il lui appartient toujours de vérifier si le litige donné, dont le contenu et les circonstances factuelles ont été établies par le juge étranger, présente un lien caractérisé avec le pays du juge étranger en application des règles du droit français.